À peine la jurisprudence a-t-elle réglé le cas atypique de la personne publique candidate[1] que l’agent public candidat débarque !

Un agent public peut-il présenter sa candidature à un marché public ? La question peut paraître ubuesque, tant elle confine à la réflexion de pure théorie. Quand, au juste, l’acheteur sera-t-il confronté à une telle hypothèse ?!

Rarement, nous vous l’accordons.

Néanmoins l’affaire portée devant la Cour administrative de Bordeaux a le mérite – outre celui d’être très drôle… – de mettre en lumière la déconcertante stabilité du contrat administratif une fois conclu. À travers le cas particulier, ce sont les règles générales que l’on touche d’autant mieux du doigt.

Ici, l’acheteur était un EPCI, et l’attributaire était un agent public exerçant ses fonctions au sein d’une commune-membre.

Pour commencer, rappelons qu’il existe, pour les agents publics, une règle de non-cumul d’activités (et des exceptions !), et que « le champ des (exceptions) ne comprend pas l’exécution d’un marché de collecte des déchets ménagers » en qualité d’autoentrepreneur, par exemple.

Le requérant évincé peut-il invoquer ce vice comme étant d’ordre public ? Bien qu’attrayante, car dispensant de la démonstration d’un intérêt lésé, cette catégorie ne recouvre que les vices du consentement et le contenu illicite.

Or, confier un marché à un agent public en méconnaissance de la règle de non-cumul n’est pas un « contenu » de contrat illicite, car « l’objet » du contrat lui-même n’est pas alors illicite. Cela vous rappelle-t-il quelque chose… ? (lire notre billet « Quand le ‘‘contenu’’ du contrat est-il illicite ? »).

Le requérant évincé peut-il alors invoquer ce vice sous réserve de justifier d’un intérêt lésé ? Eh bien oui. En théorie. Mais l’arrêt de la CAA laisse songeur car « le manquement invoqué (…) est sans rapport avec le motif d’éviction de M. B tiré de ce que son offre n’était pas économiquement la plus avantageuse ».

Sans doute M. B. était-il classé troisième ou moins ? Autrement, il est difficile d’imaginer comment l’irrecevabilité de la candidature d’un opérateur classé premier peut ne pas avoir de rapport avec l’éviction de l’opérateur classé second…

Ou alors la dureté des règles contentieuses a encore frappé ! Car, ne l’oublions pas : le juge ne peut pas soulever des moyens d’office en principe, ni les extraire d’autres moyens mal formulés. Oups ?

Précisons enfin que les principes fondamentaux de la commande publique ont bon dos, puisque le candidat évincé a tenté d’invoquer la rupture d’égalité de traitement.

La CAA prend toutefois appuie sur deux éléments pour rejeter le moyen

  • la personnalité juridique distincte de l’acheteur (EPCI) et de l’employeur (commune-membre) ici, quand bien même des liens institutionnels les unissent. Cet argument mériterait d’être réfléchi car il pourrait être transposé à des hypothèses de candidatures plus « classiques » !
  • l’absence de preuve que l’agent attributaire aurait été placé dans une situation privilégiée de nature à l’avantager. Mais si preuve il y avait eu…

CAA Bordeaux, 4 octobre 2022, n° 20BX02326


[1] CE Ass.. 30 déc. 2014, Société Armor SNC, n° 355563.