« L’effet cliquet »[1] ne s’attache pas au décompte final établi d’office par le maître d’œuvre suite à une mise en demeure restée sans effet : le titulaire peut former une réclamation sur un poste de rémunération ou d’indemnisation qui n’y figurerait pas.

Le décompte final n’a pas fini de faire parler de lui !

Dans un précédent article, nous (re)faisions le point sur les différentes étapes qui jalonnent le parcours du maître d’ouvrage et de l’entreprise de travaux jusqu’à la naissance du décompte général et définitif, le fameux « D.G.D. ».

Concentrons-nous plus particulièrement sur la première pierre, à savoir que : « Après l’achèvement des travaux, un projet de décompte final est établi concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d’exécution des prestations ou à la place de ce dernier. (…) Le titulaire transmet son projet de décompte final au maître d’œuvre ».

La procédure de réception des travaux prévoit une série d’allers et retours entre les parties au marché de travaux, afin d’arriver à arrêter définitivement les comptes. Chaque partie a ainsi voix au chapitre. Mais aucune ne peut « mettre son veto » en restant volontairement inerte. En effet, le principe est que chaque document doit être produit dans un certain délai, à peine, sinon, que la balle passe dans l’autre camp qui peut alors enchaîner sur l’étape suivante.

Aussi, si le titulaire devait manquer à établir le projet de décompte, le CCAG prévoit que le maître d’œuvre le met en demeure et, à défaut de réaction, établit lui-même, d’office, le décompte final (aux frais du titulaire…). À partir de quoi le maître d’ouvrage établit le décompte général et l’envoie au titulaire.

Le titulaire précédemment taiseux peut-il alors réclamer des sommes omises par le maître d’œuvre et faire ainsi obstacle à la formation du D.G.D. ?

Le Conseil d’État vient de répondre par l’affirmative, jugeant que :

« les stipulations (du CCAG-Travaux) n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de le priver du droit de former, dans le délai de quarante-cinq jours suivant la transmission du décompte général du marché, une réclamation sur ce décompte général, quand bien même elle porterait sur un poste de rémunération ou d’indemnisation qui n’avait pas été mentionné dans le décompte final établi d’office par le maître d’œuvre ».

Or, comme n’a pas manqué de le relever la doctrine, cette jurisprudence génère un paradoxe problématique…

Vous avez dit paradoxe ?

En effet, le projet de décompte final produit ce qui est souvent appelé un effet cliquet, dont le maitre d’ouvrage peut se prévaloir. À savoir que « le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final » (article par 13.3.3.du CCAG-Travaux) et qu’il ne peut plus ensuite réclamer des sommes qui n’y figuraient pas, y compris dans un mémoire en réclamation préalable à un contentieux[2]. En d’autres termes, lorsqu’il respecte ses obligations et établit le projet décompte final, le titulaire est déchu de son droit de réclamer des sommes oubliées.

Le Conseil d’État vient pourtant de juger que lorsqu’il boude son obligation, il peut toujours soulever n’importe quelle réclamation y compris concernant des sommes oubliées par le maître d’œuvre dans le décompte final établi d’office…

De quoi encourager les mauvais élèves ?

 Conseil d’État, 19 mai 2022, Société Eiffage Route Nord Est et autres, n°415134


[1] L’effet cliquet est un phénomène qui empêche le retour en arrière d’un processus une fois un certain stade dépassé.

[2] CAA Nancy 28 mai 2009, Sté Locatelli, n° 08NC00637.